Le 27 octobre dernier, la commission des affaires européennes de l’Assemblée Nationale a organisé une table ronde sur les ingérences étrangères, et plus particulièrement russes dans les processus démocratiques de l’Union européenne autour de Raphaël Glucksmann, député européen et président de la commission spéciale sur l’ingérence étrangère du Parlement Européen.
Avec comme experts intervenants :
M. Maxime Audinet, docteur en science politique et en études slaves de l’Université Paris Nanterre et, depuis décembre 2020, chercheur du domaine Renseignement, anticipation et menaces hybrides à l’IRSEM ;
Mme. Laure Pollez, Reporter pour C politique (France 5), et Complément d’enquête (France 2) ;
M. Martin Untersinger, journaliste au Monde, spécialisé sur les ingérences numériques.
Discussion présidée et animée par M.Pieyre-Alexandre Anglade, député (LREM).
- M. Glucksmann souligne que l’ensemble des ingérences et interférences étrangères constatées, constitue un état de guerre (hybride) qui remet en question notre cadre mental, nos catégories de pensée traditionnelles, largement inadaptées pour appréhender celui de pays aux cultures et systèmes politiques éloignés du nôtre, notamment la double stratégie russe des marges (visant les extrêmes) et du centre (corruption et compromission des élites), et celle de la Chine.
- M. Audinet, qui centre ses travaux sur les modes de conflictualité sous le seuil de la guerre, relève que si la diffusion des media d’Etat russes en France a été interdite, leur production sur le territoire national se poursuit et se réoriente sur l’Afrique. En revanche, leur audience, dans l’Hexagone, a chuté : de 2M a 1M pour Spoutnik, et de 5M à 5M de vues pour RT.
- Pour M. Untersinger, cite le premier rapport d’activité de l’agence Viginum, créée au mois de juillet 2021, qui est le service technique et opérationnel de l’État chargé de la vigilance et de la protection contre les ingérences numériques étrangères. Il s’étonne que l’Etat n’ait diffusé plus largement ses conclusions, notamment les cinq attaques d’origine étrangère identifiées et caractérisées, contre le processus des élections présidentielles et législatives françaises de 2022.
S’en sont suivies les interventions des députés présents à la table ronde, dont :
- Mme Marietta Karamanli (groupe socialiste et apparentés) estime qu’il faut se pencher sur les outils pour lutter contre les ingérences et plus particulièrement sur la création d’un nouveau modèle d’expertise démocratique et indépendante, et que ce mode opératoire diffuse dans l’opinion et le plus grand nombre.
- M. Christophe Plassard (groupe Horizon) cite le rapport de l’IRSEM 2021, sur les ingérences chinoises en phase de russification et demande si les travaux de la Commission parlementaire européenne concluent qu’elles peuvent saper l’unité européenne ou, plus positivement, si elles peuvent conduire à raffermir la diplomatie européenne.
- Mme Ana Pic, (groupe socialiste,) s’interroge : il a fallu attendre l’invasion de l’Ukraine par la Russie pour suspendre RT, faudra-t-il attendre une invasion chinoise de Taiwan pour suspendre la chaine de propagande chinoise CGTN et de quels instruments juridiques l’UE peut-elle offrir aux Etats-membres pour l’aider en cela ?
- Pour Mme Anne Genetet, (groupe Renaissance), le Quai d’Orsay aurait indiqué qu’il existerait un moyen législatif d’interdire CGTN en Europe, dont la diffusion est toujours possible via un satellite d’Eutelsat, dont le siège est à Paris.
- Glucksmann, a répondu à quelques-unes des questions posées en les regroupant par sujet et indique que le budget de l’UE dans son ensemble pour la lutte contre la désinformation s’élève désormais à 40M € – contre près de 1Md pour la Russie – ce qui traduirait un sous-investissement en la matière.
- Il insiste pour un changement de logiciel : il faut que les communicants s’intéressent aux questions liées à la sécurité et que ceux qui sont des milieux de la sécurité s’interrogent sur la communication publique de ce qu’ils font. Tant que nous n’aurons pas compris que cette guerre est une guerre de la transparence dans l’espace public, et qu’il faut une action publique et plus transparente, nous n’y arriverons pas.
- Au niveau européen, il faut arriver à objectiver le risque et le rendre agnostique, c’est-à-dire qu’il ne cible pas un pays mais une situation.
- Comment se défendre ? Deux entrées : pourquoi ne pas créer une banque de la démocratie qui financerait les partis politique européens ?
- Par ailleurs, l’UE pourrait s’inspirer du Foreign Agent Registration Act (EU, 1938), et du système australien Foreign Influence Transparency Scheme (2018); « on doit savoir qui parle d’où. On ne peut pas arriver sur un plateau et prétendre avoir une analyse objective de la situation si on travaille pour un think tank qui est financé par la Chine, c’est aussi bateau que cela. Ca existe car il y a un vide au niveau de la législation européenne et il faut qu’on comble ce vide ».
- Autre moyen de défense, les media : « plus nous avons les media forts et indépendants, moins il y a de la désinformation« . Vers un Media Freedom Act ?
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- NB : Le 16 septembre, Vera Jourova, vice-présidente de la Commission européenne en charge des valeurs et de la transparence, et Thierry Breton, commissaire au marché intérieur, ont présenté un texte hautement attendu, le European Media Freedom Act (EMFA).
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- Mais se défendre n’est pas suffisant : il faut aussi renforcer nos démocraties car les régimes russes et chinois ne créent pas la plupart des problèmes, ils les exploitent comme autant de failles. Il faut les rendre, plus vivantes, plus justes, plus fortes.
Visionner la table ronde ici